96.
Le procès se déroulait très, très lentement. Les jours, les semaines se succédaient et j’étais déjà épuisée.
Après la fin des témoignages, le vingtième jour, Barry et Nathan me rendirent visite à la prison. Je faillis refuser de les voir.
Je savais qu’ils voulaient m’extorquer une explication, un alibi, mais je ne pouvais les satisfaire. Je savais qu’ils s’inquiétaient de ne pas voir les débats évoluer dans le sens souhaité.
— Dis-nous ce que tu sais sur Palmer, me demanda Barry quand nous nous retrouvâmes dans la petite salle de réunion réservée à ce genre d’entretiens.
Son entrée en matière me prit au dépourvu. Pourquoi Palmer Shepherd ?
— Palmer ? C’est le frère de Will, évidemment. Ils ne s’entendaient pas très bien. Je ne l’ai vu que deux fois et j’ai eu droit à ses condoléances – le jour de mon mariage.
— Et sais-tu s’il était proche de ses tantes ?
— Pas autant que Will.
J’avais répondu sans réfléchir et mes mots ont dû faire mouche, car Barry me lança un regard sévère, puis son expression se fit triste et distante.
— Tu savais pour Vannie et Will ? Alors pourquoi ne pas nous l’avoir dit ? Pourquoi avoir attendu qu’on te parle du frère de Will ?
La colère monta en moi. Il y avait trop longtemps que je me retenais. Il fallait que ça sorte.
— Je ne sais rien du tout. J’ai peut-être eu quelques soupçons, c’est tout. À quoi joues-tu, Barry ?
Il me regarda sans sourciller.
— Dis-moi la vérité, Maggie. Est-elle déjà venue chez toi ? Est-ce que Vannie est venue ?
— Elle est venue pour le mariage, lui répondis-je, en revoyant parfaitement la scène. Elle était très belle. C’est la sœur cadette de sa mère. Tu y étais, Barry, tu l’as vue aussi bien que moi. Will n’a jamais réussi à oublier sa mère.
— C’est le moins qu’on puisse dire ! fit Nathan. Lui est-il déjà arrivé de ramener d’autres femmes à la maison ?
— Jamais. En quel honneur ? À quoi rime toute cette histoire, Nathan ?
— Je vais vous reposer la question différemment. Êtes-vous sûre que Will n’a jamais tenté quelque chose de bizarre à la maison ? Il faut nous faire confiance, Maggie, il ne faut pas nous cacher des choses, surtout à ce stade du procès. Il est indispensable que nous en sachions autant que l’accusation.
J’eus un très bref instant d’hésitation. J’étais tendue à mort et la tournure de cet entretien ne me plaisait pas du tout.
— Non, je n’ai rien à vous dire. Pourquoi vous dissimulerais-je quelque chose ?
Barry sortit de ses gonds.
— Tu es en train de mentir. Merde ! Tu me désoles,
Maggie.
— Je jure que…
Bien évidemment, je mentais. Je ne mens jamais, mais là, je n’avais pas le choix.
— Qui était-ce, Maggie ? insista Barry.
Il hurlait presque, au bord de l’apoplexie. Jamais je ne l’avais vu en proie à une telle fureur.
— Barry, je t’en supplie… non !
Soudain, son visage devint crayeux. Il ferma les yeux, les rouvrit lentement.
— Bien sûr, laissa-t-il échapper, et je vis des larmes poindre au coin de ses yeux.
Il y avait dans son regard une telle tendresse, une telle pitié que je sus immédiatement que nos cœurs allaient se briser.
— Oh, mon Dieu, bien sûr, soupira-t-il. Will s’est attaqué à Jennie, n’est-ce pas ?
Je me levai et j’appelai le gardien.
— Ramenez-moi à ma cellule, tout de suite !
Et je partis sans ajouter un mot. Je ne pouvais pas, je ne voulais pas mêler Jennie à ce cauchemar.